Comment moduler le calcul des pénalités ?

Moduler les pénalités de retard

Les CCAG constituent-t-il la référence des pénalités raisonnables ? Quid pour moduler le calcul des pénalités.

En matière de pénalités, le mieux est l’ennemi du bien !

Il n’est pas question ici de la pratique trop répandue qui consiste à prévoir toujours plus de pénalités pour toujours moins les appliquer, mais bien de la question des pénalités de retard excessives.

En principe, et en théorie surtout, les pénalités de retard prévues au contrat sont strictement appliquées par le juge. Deux arguments fondateurs à cela.

D’une part, celui de la force obligatoire du contrat, elle-même dérivée du principe de liberté contractuelle[1], puisque chaque partie aurait librement consenti à « la loi contractuelle » commune. Aussi le juge doit-il en prendre acte pour ne pas porter atteinte à la liberté contractuelle des parties.

D’autre part, l’essence-même des pénalités de retard. En effet, c’est leur objet même que de réparer forfaitairement le préjudice du créancier découlant du retard dans l’exécution de ses obligations par le débiteur. Qui dit forfaitaire, dit absence de correspondance entre le montant du préjudice et le montant de la réparation contractualisé. En réalité, le créancier n’a même pas à rapporter la preuve d’un quelconque préjudice ![2]

En théorie…

Car rappelons que le régime des pénalités de retard dans les contrats de la commande publique est chapeauté par « les principes dont s’inspire » le code civil, hier son article 1152, aujourd’hui son nouvel article 1231-5. De là, le juge administratif déduit depuis 2008 qu’il lui est loisible de réduire le montant de pénalités manifestement excessives ou d’augmenter le montant de pénalités manifestement dérisoires (CE, 29 déc. 2008, OPHLM de Puteaux, n° 296930, Rec.).

La modulation des pénalités : comment ?

Sécurité contractuelle oblige, l’acheteur-autorité concédante a tout intérêt de savoir apprécier le caractère « manifestement excessif » – ou « manifestement dérisoire » – de sa clause de pénalités. La jurisprudence a livré les clefs de lecture suivantes :

  • Le montant total hors taxe du marché public[3], ou le montant des recettes prévisionnelles de la concession incluant les subventions de l’autorité concédante[4] ;
  • La part destinée à rémunérer l’élément de mission d’un marché de maîtrise d’œuvre[5]. Par analogie, il apparait pertinent de prendre en compte la part destinée à rémunérer une partie seulement du marché lorsque celui-ci fait l’objet d’un découpage (tranches, phases, etc…)[6] ;
  • La gravité de l’inexécution, autrement dit l’ampleur du retard constaté. D’où l’intérêt d’une rédaction fine envisageant plusieurs formules de calcul en fonction de différents seuils de retards.
  • Les caractéristiques particulières du marché. Par exemple, l’accent mis sur le respect des délais[7], ou l’imputabilité des retards à d’autres intervenants à l’exécution du marché, sous réserve semble-t-il qu’ils soient contractuellement liés au pouvoir adjudicateur : oui pour un maître d’œuvre[8], non pour des sous-traitants et fournisseurs[9] ;
  • Les pratiques observées sur des marchés comparables[10].
  • Et c’est justement sur ce dernier point que la cour administrative d’appel de Marseille apporte une pierre volcanique à l’édifice jurisprudentiel !

    Car par la formule modératrice « en outre », elle introduit en réalité un motif décisionnel qui ne passe pas inaperçu : en l’espèce « la formule contractuelle des pénalités de retard comporte un dénominateur de valeur 1 000, par dérogation à l’article 26.1 du CCAG-MI, qui serait applicable dans des marchés comparables, et dans lequel le dénominateur est de valeur 3 000 ». En conséquence, le caractère manifestement excessif des pénalités se confirme.

    Autrement dit, le CCAG-Marchés industriels, auquel il est pourtant loisible aux pouvoirs adjudicateurs de déroger, est pris ici comme la valeur de référence à l’aune de laquelle est jugé la disproportion, donc la validité, de la clause de pénalités du marché en litige.

    Reste que, même en ayant entre les mains toutes les valeurs de référence pertinentes, l’acheteur s’expose encore aux vertiges de l’incertitude juridique. Car la jurisprudence n’est pas fixée sur un seuil d’excès.

    Dans un article de 2019, nous mettions en exergue le seuil de 25% retenu alors par le juge d’appel de Bordeaux comme raisonnable. Ce seuil est parfois considéré comme établi. Mais il n’en est rien.

    S’il est vrai que, une fois le caractère excessif établi, il est courant que les juges estiment qu’« il sera fait une juste appréciation des circonstances de l’affaire en réduisant le montant des pénalités à 25 % du montant total de la rémunération applicable aux prestations en cause », en revanche, l’établissement lui-même du caractère excessif n’obéit à aucun seuil critique.

    Ainsi, des pénalités s’élevant à 48% du montant du marché ont été expressément reconnues comme proportionnées[11], et il a été jugé que des pénalités s’élevant à 61,15% du montant du marché pourraient très bien s’avérer proportionnées[12].

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